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TENSIONS AU MALI:
LA PRÉSENCE MILITAIRE FRANÇAISE REMISE EN QUESTION ?
Le 16 janvier 2022, l’ancien Président Malien Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) est décédé à la suite d’une maladie. Sa mort contribuera certainement à accroître le climat d’instabilité sociale et politique dans le pays. Alors qu’IBK entretenait de bonnes relations avec les dirigeants français, sa disparition rend plus difficile une sortie de crise pacifique du système politique malien dirigée par une junte militaire, ainsi que les relations diplomatiques avec la France qui demande la tenue d’élections dans les plus courts délais pour le retour d’un pouvoir civil.
Voilà près de huit ans que la France a réformé la structure de son intervention militaire dans les Pays du Sahel, Burkina Faso, Mali afin d’offrir une réponse adaptée à l’évolution des défis sécuritaires et des menaces terroristes islamique dans la région. Opérationnel depuis le 1er août 2014, le nouveau dispositif nommé Opération Barkhane a permis le déploiement de près de 5000 militaires pour endiguer la progression de certains groupes terroristes vers l’Afrique Sub-saharienne et plus particulièrement vers les pays du golfe de Guinée tels que le Nigéria, le Togo et le Bénin.
La durée même de l’opération et son succès relatif concernant les objectifs principaux fixés suscite le mécontentement d’une frange de la population vis-à-vis de l’ancien pays colonisateur, notamment au Mali. Tous les pays sont égaux mais certains le sont plus que d’autres : les services de sécurité du Burkina Faso et du Mali sont sur le point de s’effondrer (franceinfo.fr, 12.01.2022) alors que la Mauritanie n’a que peu souffert des menaces terroristes, le Niger bénéficie d’institutions moins fragmentées et d’une force armée plus solide et l’armée française a l’avantage de l’expérience et de la connaissance du terrain au Tchad; les opérations menées dans ce pays démontrent un succès comparativement significatif.
Les relations entre la France et le Mali sont en dents de scie depuis plusieurs décennies. Depuis 2020, le Mali est en proie à une sévère instabilité politique. Au terme d’une lutte de plusieurs mois, le chef de la junte militaire, le colonel Assimi Goïta, annonce une transition militaire. Après des mois d’incertitude et de remous, Goïta s’est finalement autoproclamé Président de la République du Mali le 7 juin 2021. Trois jours plus tard, le Président français Emmanuel Macron annonçait la transformation de l’opération Barkhane (defense.gouv.fr, 04.01.2022) avec une réduction des effectifs militaires de 5100 à 3000 d’ici l’été 2022. L’arrivée au pouvoir de facto de la junte n’a pas été officiellement reconnue par la France en qui celle-ci voit un pouvoir qui lui est hostile. La position antagoniste de la junte malienne face à la présence militaire française a de forts relais qui ne sont pas à négliger au sein de la population : persistance des menaces sécuritaires (terrorisme islamique, conflit ethniques et inter communautaires) malgré la durée de l’intervention, porosité des frontières, échec du renforcement des services de sécurité malien et liberté d’action des forces armées françaises sont autant d’éléments qui favorisent la propagation d’un rejet de la France par l’opinion publique malienne (tv5monde.com, 24.12.2021).
Le pouvoir malien a décidé d’élargir ses options de partenariat pour maintenir la paix sur son territoire en développant un dialogue avec le Kremlin officiellement seulement pour la vente de matériel militaire russe et la formation d’officiers par les accords russo-maliens de juin 2019 (iris-France.org, 26.10.2021) et vraisemblablement non-officiellement via la participation de mercenaires affiliés à la société russe Wagner –bénéficiant du soutien du Kremlin- pour des opérations ciblées de sécurité et de protection de dirigeants politiques et militaires. Le Mali et la Russie ne coopèrent pas pour la première fois, les deux pays entretenaient de bonnes relations commerciales et politiques pendant la Guerre Froide. Ces discutions bilatérales ont néanmoins suscitées de vives réactions de la part de la classe politique française. Celle-ci a d’abord affirmé que la présence d’éléments de la société Wagner était incompatible avec celle de l’armée française avant d’adopter une posture plus souple. Lors d’une interview accordée au journal Le Monde le 18 octobre 2021, le Premier Ministre malien Choguel Maïga a également relativisé les désaccords entre la France et le Mali affirmant qu’ « il peut y avoir des scènes de ménage, mais je ne crois pas beaucoup au divorce… Trop de liens lient la Mali et la France pour qu’une équipe en précampagne [le gouvernement Macron], sur un coup de tête ou une saute d’humeur vienne tout remettre en cause… Il nous reste encore beaucoup de choses à faire ensemble ». Néanmoins, le 20 décembre 2021, Emmanuel Macron a annulé à la dernière minute une visite au Mali craignant un accueil négatif voire des mouvements de protestation, alors que les autorités françaises ont mis fin à l’opération Barkhane en tant qu’opération extérieure et la « mise en œuvre d’une alliance internationale associant les États de la région et tous nos partenaires, strictement concentrée sur la lutte contre le terrorisme » selon Macron (lexpress.fr, 10.06.2021) qui sera structurée autour de l’opération européenne Takuba.
Loin de se retirer unilatéralement du Mali, la France y réorganise sa présence face à l’arrivée de Wagner. Il s’agit d’une posture ambiguë qui semble cependant bénéficier du soutien des États-Unis (tv5monde.com, 24.12.2021). Les tensions diplomatiques entre les deux pays sont susceptibles de forcer la main à la France pour qu’elle réduise plus encore ses effectifs sur le terrain, surtout si la position de la junte malienne a le soutien de la population. Ainsi, le 14 janvier 2022, de nombreux manifestants se sont rassemblés à Bamako, pour protester contre les sanctions imposées par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest –Cédéao (tv5monde.com, 17.01.2022). Selon la politologue et présidente de l’African Security Sector Network Niagalé Bagayoko, la position inconfortable dans laquelle se trouve la France tient notamment à un manque de clarté dans la communication aux populations locales des objectifs de l’opération Barkhane et de la France au Sahel. Bien que le dispositif militaire français soit visiblement remis en question, il semble peu probable que la France retirera toutes ses troupes du Mali puisqu’elle participe à de nombreuses autres opérations multilatérales dans ce secteur.
L’investissement politique, économique et militaire de la France au Mali et dans la région est entrelacé dans de multiples cadres et forums internationaux en dehors de l’opération Barkhane tels que la Cédéao, le G5 Sahel, le Dialogue Sahel, la Mission Multidimentionnelle intégrée des Nations-Unis pour la stabilisation au Mali –MINUSMA- dont le Chef d’État-major est le Général de Brigade français Philippe Pottier et dont les effectifs étaient de 12,789 militaires venant de 61 pays et de 1,774 policiers (UNPOL) de 29 pays (minusma.unmissions.org, octobre 2021), la Task Force européenne Takuba ou encore la Mission européenne de formation de l’armée malienne (EUTM). Ces dispositifs sont intimement liés à l’évolution des relations franco-maliennes (dont on ne peut toutefois pas nier les spécificités) et requièrent d’envisager la situation du Mali à travers un prisme élargi, comprenant l’ensemble des pays du Sahel. En effet, le terrorisme, divers trafics illicites et les difficultés socio-économiques ne connaissent pas de frontières dans la région, qui est minée de conflits latents ou actifs du Sahara Occidental jusqu’à la Corne de l’Afrique. Les relations de la France au vu des développements en Algérie, en Libye, au Tchad, en République Centrafricaine ou encore au Soudan influencent la nature et les enjeux du partenariat établi, mais fragile entre la France et le Mali.
SITOGRAPHIE :
1. Michel Lachkar, Alain Antil (IFRI) « Sahel: ‘Au Mali et au Burkina Faso, les services de sécurité sont quasiment effondrés’, affirme Alain Antil, chercheur à l’IFRI », 12.01.2022, https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/politique-africaine/sahel-au-mali-et-au-burkina-faso-les-services-de-securite-sont-quasiment-effondres-affirme-alain-antil-chercheur-a-l-ifri_4912705.html, Date d’Accès: 17.01.2022
2. Ministère des Armées, « Opération Barkhane », 04.01.2022, https://www.defense.gouv.fr/operations/afrique/bande-sahelo-saharienne/operation-barkhane/dossier-de-reference/operation-barkhane, Date d’Accès: 17.01.2022
3. TV5MONDE, AFP, « Mali: les Occidentaux dénoncent le déploiement des ‘mercenaires’ russes de Wagner », 24.12.2021, https://information.tv5monde.com/afrique/mali-les-occidentaux-denoncent-le-deploiement-des-mercenaires-russes-de-wagner-437769, Date d’Accès: 17.01.2022
4. Nicolas Normand, IRIS, « Mali: revirements sécuritaires et stratégiques ? », 26.10.2021, https://www.iris-france.org/162016-mali-revirements-securitaires-et-strategiques/, Date d’Accès: 17.01.2022
5. AFP, « Macron amorce la réduction de la présence militaire française au Sahel », 10.06.2021, https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/macron-sur-le-point-d-annoncer-une-reduction-d-effectifs-de-barkhane-au-sahel_2152620.html, Date d’Accès: 17.01.2022
6. TV5MONDE, AFP, « Mali: les Occidentaux dénoncent le déploiement des ‘mercenaires’ russes de Wagner », 24.12.2021, https://information.tv5monde.com/afrique/mali-les-occidentaux-denoncent-le-deploiement-des-mercenaires-russes-de-wagner-437769, Date d’Accès: 17.01.2022
7. Maya Elboudrari, « Mali: ‘Un mouvement populaire massif pourrait forcer la France à quitter le pays’ », 17.01.2022, https://information.tv5monde.com/afrique/mali-un-mouvement-populaire-massif-pourrait-forcer-la-france-quitter-le-pays-440603, Date d’Accès: 17.01.2022
8. MINUSMA, « Effectifs », Octobre 2021, https://minusma.unmissions.org/effectifs, Date d’Accès: 17.01.2022