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Rapports de force en République Centrafricaine: Positionnement géostratégique de la France et de la Russie
Osman Oğuz Subaşı
Le président français Emmanuel Macron a récemment déclaré que les relations de l’Union européenne (UE) avec les pays africains constitueront une des priorités de la présidence française du Conseil de l’UE. Celle-ci a débuté le 1er janvier et se prolongera jusqu’au 1er juillet 2022. Cette déclaration intervient alors que le rôle central de la France en Afrique continue d’être remis en question par les pays africains eux-mêmes, et par la montée en puissance d’autres puissances géopolitiques telles que la Chine et plus récemment la Russie. Outre la situation inconfortable de la France au Mali et les tensions avec l’Algérie, ses relations avec la République Centrafricaine (RCA) sont également au plus bas.
Ancienne colonie française ayant acquis son indépendance le 1er décembre 1958, la RCA est, tout comme la République Démocratique du Congo (RDC), située au cœur de l’Afrique. Outre sa localisation géostratégique, son territoire légèrement plus étendu que celui de la France (622,980 km²) très faiblement peuplé (à peine 5 millions d’habitants) ses ressources arboricoles, ses terres arables et la richesse de son sous-sol en or et en diamant en font un pays convoité. La RCA est minée par des luttes intestinales entre factions armées sources de guerres civiles. La dernière en date a débuté en 2013 et s’est apaisée en 2014. Les conflits opposaient principalement la Séléka (groupe à dominante musulmane) qui intégrera le groupe 3R –Retour, Réclamation, Réhabilitation- créé fin 2015, et les anti-balaka (constitué de chrétiens et d’animistes). Fin décembre 2013, la France est intervenue militairement en RCA avec l’opération Sangaris (la 7ème intervention armée depuis l’indépendance du pays) visant d’abord à désarmer les groupes rebelles et à favoriser l’installation de la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations-Unis pour la Stabilisation en République Centrafricaine (MINUSCA) dont les effectifs n’ont cessé de croître depuis pour atteindre 14,275 personnels dont 11,938 militaires en 2021 (minusca.unmissions.org, août 2021).
L’opération Sangaris prit fin en 2016, immédiatement après l’investiture du président Faustin-Archange Touadéra le 30 mars 2016. Depuis ce retrait soudain, la RCA a opéré un rapprochement avec la Russie pour assurer la sûreté du pays malgré les effectifs considérables de la MINUSCA, et les relations avec la France se sont progressivement tendues. Ainsi, le président centrafricain Touadéra souhaite élargir ses options de partenariat. C’est ce qu’affirme H. A. Kabirou, député du parti politique Mouvement Cœur Unis (le parti au pouvoir): « Nous avons eu l’opportunité d’avoir du soutien de la part de nos partenaires de la Russie, nous l’avons saisie. Il faut que la France cesse d’avoir une attitude paternaliste concernant le choix de nos alliés » (Anadolu Ajansı, 25.06.2021). La France dénonce quant à elle la présence d’éléments affiliés au groupe de sécurité privé Wagner, proche du pouvoir russe et qui est considéré comme une organisation utilisant des mercenaires par les pays occidentaux et une large partie de la communauté internationale.
En janvier 2021, l’ancien président de la RCA François Bozizé, via la coalition armée Coalition des patriotes pour le changement (CPC), fondée fin 2020, avait tenté de reprendre le pouvoir par la force. Cette tentative de coup d’État contre le camp Touadéra fut repoussée avec la coopération des forces de la MINUSCA, de la Russie, du Rwanda et des Forces armée centrafricaine (FACA). En juin 2021, le ministre des affaires étrangères français Jean-Yves Le Drian a affirmé qu’ « en République Centrafricaine, il y a une forme de captation du pouvoir, et en particulier de pouvoir militaire, par les mercenaires russes » (ouest-france.fr, 26.07.2021). Les désaccords et invectives entre la France et la RCA soulignent la détérioration des relations bilatérales alors que la quasi-hégémonie française dans certains pays africains se trouve de plus en plus souvent remise en question et mise en concurrence avec l’influence économique de la Chine et militaire de la Russie.
Cette dernière mène une campagne médiatique efficace dirigée contre la France (Anadolu Ajansı, 25.06.2021), campagne qui bénéficie du soutien implicite des autorités centrafricaines. La « pénurie de carburant provoquée par la société française Total » (Anadolu Ajansı, 25.06.2021), les incendies au siège de l’entreprise de télécommunication Orange le 7 juin 2021 et celui à l’Ambassade de France à Bangui (capitale de la RCA), reflètent l’ampleur et l’intensité des rapports de force en RCA. Le gouvernement français a également suspendu l’aide budgétaire à Bangui et l’assistance militaire aux forces armée centrafricaines au cours du même mois ; tout comme au Mali, où la France est aussi en concurrence avec la Russie et des ‘mercenaires’ du groupe Wagner (ouest-france.fr, 26.07.2021). Étonnement, le seul bâtiment de la capitale qui n’a jamais été pillé est celui de l’Institut Pasteur, le principal laboratoire biologique du pays (senat.fr, 20.01.2022).
En somme, la lutte d’influence entre l’Élysée et le Kremlin semble mettre dans une impasse la relation France-RCA. Une sortie de crise durable en RCA nécessiterait une coopération entre les puissances extérieures mais influentes sur le continent et les pays limitrophes mais, il existe actuellement deux processus distincts: le processus de Khartoum, initié par la RCA et l’Union africaine avec le soutien de la Russie et ayant abouti à la signature d’un accord à Bangui en 2019 (crisisgroup.org, 18.06.2019), et les activités de la MINUSMA, menées sous l’égide de l’ONU. Cette situation amène à prendre du recul sur les rapports de force en RCA et à poser les questions suivantes:
Un partenariat ou une coopération entre les deux puissances (en RCA comme dans d’autres pays africains faisant face à des défis sécuritaires) est-il envisageable ? Si l’objectif de la France et de la Russie en RCA est seulement d’assurer la paix, pourquoi les deux pays sont-ils engagés dans une lutte d’influence ?
Les enjeux en RCA ne semblent donc pas limités à des questions sécuritaires, mais englobent aussi des problématiques économiques et politiques. La Russie et la France sont en concurrence pour l’accès et l’exploitation des riches ressources minières de la RCA, et la France tente par ailleurs de protéger tant bien que mal son statut de puissance dominante dans sa zone d’influence historique, avec une efficacité de plus en plus contestable et contestée.
SITOGRAPHIE:
Fatma Bendahou, « Centrafrique : jusqu’où peut aller le bras de fer entre la France et la Russie ? (Analyse*) », 25.06.2021, https://www.aa.com.tr/fr/afrique/centrafrique-jusqu-o%C3%B9-peut-aller-le-bras-de-fer-entre-la-france-et-la-russie-analyse/2285471, (Date d’Accès : 19.01.2022)
International Crisis Group,« Derniers accords de paix en RCA: les conditions du succès », Rapport N°277/Afrique, 18.06.2021, https://www.crisisgroup.org/fr/africa/central-africa/central-african-republic/277-making-central-african-republics-latest-peace-agreement-stick, (Date d’Accès : 19.01.2022)
MINUSCA, « Faits et Chiffres », août 2021, https://minusca.unmissions.org/faits-et-chiffres, (Date d’Accès : 19.01.2022)
Ouest-France, « Centrafrique: pourquoi les relations avec la France continuent de se détériorer », 26.07.2021, https://www.ouest-france.fr/monde/centrafrique/centrafrique-pourquoi-les-relations-avec-la-france-continuent-de-se-deteriorer-f92398e2-edf0-11eb-9cf7-7bee30f25d08, (Date d’Accès : 19.01.2022)
Sénat, « Afrique centrale: une forte demande de présence française », 20.01.2022, https://www.senat.fr/ga/ga71/ga717.html, (Date d’Accès : 19.01.2022)